Les bambous dansent avec le vent. Autour du château, chaque feuille poursuit sa propre chorégraphie égoïste. Et la guerrière avance. Elle est enfin prête. Un masque félin, grimaçant, cache la … Continuer la lecture de Panthère arc-en-ciel
Les bambous dansent avec le vent. Autour du château, chaque feuille poursuit sa propre chorégraphie égoïste. Et la guerrière avance. Elle est enfin prête. Un masque félin, grimaçant, cache la … Continuer la lecture de Panthère arc-en-ciel
T’as déjà admiré l’agitation d’une cour de récréation ? Une vraie ? Je veux dire vraiment observé ? A laisser les saisons transformer l’asphalte en un mini-univers observable ?
Tu prends quatre à cinq dizaines d’enfants. D’abord tu les confines sur une chaise jusqu’à ce que les yeux comptent les secondes sur l’horloge de la classe, jusqu’à ce que la lenteur de la trotteuse leur fasse comprendre la relativité du temps. Tu laisses bien mijoter le temps de quand même finir l’exercice, tu vérifies bien que plus personne dans la classe ne s’intéresse aux nombres que tu écris au tableau et tu ouvres la cocotte. C’est cuit à l’impatience, doré à l’excitation et ça déferle dans la cour comme un tsunami qui n’a même pas pensé à mettre son manteau. Le béton et le goudron inanimés vibrent tout d’un coup d’une vie mesurable au sismographe. Les trajectoires de chacun ont été pensées à l’avance, directement vers le toboggan sans passer par les toilettes, (on y repensera dans la classe trop tard) ou en ligne droite vers les vélos pour être sur de pouvoir pédaler en paix.
Toi, tu vas regarder ça, la fumée de ton café mollement ballotée par le vent. Dans la cour il y a trois arbres qui se battent en duel mexicain, une structure de jeux polie par des pantalons d’enfants et des jouets qui auraient voulu rester sous blister. Il y a un trou de verdure où des brins d’herbes luttent pour leur survie, dans l’espoir vain, malgré la multitude de pieds piétineurs, de devenir un jour, pelouse. A chaque récréation des micro-sociétés vont se construire et s’effondrer, avec leurs lois, leurs dirigeants et leurs parias. Tu vas devoir y rendre la justice, trancher les cas litigieux de coups et blessures en juge impartial. Quand le ballon sera passé trop haut, tu seras arbitre même si tu regardais ailleurs. En infirmier de guerre, tu guériras de vraies blessures, souvent avec l’eau magique du robinet de la classe. Tu devras mener des enquêtes insolubles pour retrouver des doudous disparus, peut être kidnappés. Et surtout, tu devras trancher, analyser la météo, consulter les astres pour décider si oui ou non, il faut mettre le manteau. La même analyse pointue sera bien sur faite en sens inverse si le soleil ose réchauffer l’atmosphère. Un tas d’habits oubliés commencera à s’amonceler dans un coin, patchwork de vêtements qui n’appartiennent à personne, surement à de mystérieux élèves venus d’ailleurs, d’une autre dimension, juste pour déposer vicieusement leurs manteaux dans cette école.
A l’automne les feuilles des arbres essaieront d’atteindre le sol avant que des mains avides en fasse des couronnes de royaumes qui connaitront mille rois. Et tu verras, tu vas sourire devant les parties de « un, deux, trois soleil » où des enfants qui se voudraient statues immobiles finiront en penseurs de Rodin hilares. Les élèves découvriront, avec étonnement, les propriétés spécifiques de l’eau des flaques. Liquide qui contre toute attente mouille les chaussures et les pantalons.
Quand l’hiver enfermera les jeux entre des murs de béton, tu maudiras ce lieu. Quand les cris seront des balles qui rebondiront sur les parois du préau pour cribler tes oreilles fatiguées, tu voudras être ailleurs. Ou peut être que par moins huit, le givre permettra à de petits artistes de réaliser des œuvres digitales éphémères, des moments glacés où le goudron deviendra patinoire olympique.
Au printemps, le « un, deux, trois soleil » aura muté. Croisé, mélangé avec neuf autres jeux. T’essaiera de comprendre les règles de chorégraphies qui dépassent le meilleur des pédagogues. Tu tenteras aussi de préserver l’intégrité des pauvres sauterelles inconscientes prisonnières des seaux et autres récipients.
Et l’été arrivera, ton café remplacé par de l’eau fraiche. Tu devras te battre pour que , tel Peter pan, les enfants se réconcilient avec les ombres et ne brûlent pas sous le soleil de Juin. Mais j’ai une casquette ? Même avec une casquette ! Il fait trente-cinq degrés, on se met à l’ombre. Le temps passé dehors rallongera comme les jours d’été. Tu hésiteras un peu plus à faire sonner le glas du retour en classe et absorbé par l’enfance qui transforme le goudron en galaxie de possibles imaginaires, tu attendras surement dix minutes de plus avant de sonner la fin de la récré.