Étiquette : confinement

L’enquête

– Il y a quelques jours nos vies ont changé. Michel a disparu, déclarais-je.

– Décrivez le moi précisément, demanda l’inspectrice.

J’étais assis face à elle. Les ombres de la pièce dansaient au rythme du balancement de l’ampoule fixée au plafond.

– C’est un petit tyrannosaure en peluche, aux bras minuscules, haut comme une pomme et demie.  C’est le gardien inébranlable des rêves de la maison et le pourfendeur de nos cauchemars.  

– Avez-vous vraiment regardé partout ?

Je comprenais ses doutes mais nous avions fait notre maximum. Nous avions lancé des recherches approfondies. On avait fouillé jusque sous les ombres des meubles.  On avait interrogé le monstre sous le lit et chaque araignée présente au moment des faits. Pas la moindre trace de Michel. L’inquiétude commençait à ronger les cœurs et les réserves de patience diminuées sérieusement.

– Oui, répondis-je avec un soupir.

– Aucune trace du, elle regarda ses notes, « doudou » ?

– Aucune

Pourtant les autres peluches avaient proposé de se relayer pour veiller sur Jeanne, petite fille endeuillée par la perte de sa peluche préférée. Pourtant, ses deux mamans avaient participé activement aux recherches.  Mais des fois «  pourtant » ça ne suffit pas.

– Et les recherches continuent ?

– Les mamans n’ont pas dormi depuis la disparition.

– Elles sont compétentes ?

L’inspectrice se leva. Elle arpenta la pièce et marmonna des mots que je ne pouvais entendre. Frénétiquement elle relue ses comptes-rendus  et griffonna son calepin.  Puis.

Puis l’inspectrice fondit en larmes. 

Des grosses gouttes tombèrent sur le parquet comme une pluie d’été. Elle ralluma  la vraie lumière de la chambre et éteignit l’ampoule ballottante. J’avais envie de prendre l’inspectrice dans mes bras. Elle était tellement minuscule pour une si grosse tristesse.

– Ça me fait plus rire de faire l’inspectrice tonton.

– Je sais ma grande.

– Je veux retrouver Michel.

Je priais les dieux des doudous et tout le panthéon des dinosaures pour que ma sœur et sa femme aient mis la main sur la peluche pendant notre jeu.

– Ramène-moi dans le salon Jeanne.

Mon champ de vision embrassa dans un tourbillon toutes les pièces nous séparant du salon. A travers la caméra du téléphone, j’étais inutile, tributaire des déplacements erratiques de ma nièce.  Malheureusement je n’étais qu’un rectangle numérique pas bien lourd face au chagrin de Jeanne. Le conseil de famille s’était réuni autour d’une table pas ronde mais avec de vrais cookies du réconfort. Je me retrouvais posait sur un fauteuil, face à deux femmes aux cernes marqués affalées dans le canapé. Derrière Jeanne, ma sœur secoua la tête négativement. Pas de trace de Michel le dino. Les yeux rouges des chagrins que l’on essaie de cacher, Jeanne prit la parole :

-Je veux sortir, je veux aller à l’école, je veux aller me promener loin et voir les lamas sur la grande route et je veux faire des courses de bonbons.

Sans le tyrannosaure en peluche, le courage dont Jeanne avait fait preuve depuis le début du confinement  s’étiolait.  Sans son doudou ma nièce ne tenait plus le coup. Depuis trente jours nous jouions à cache-cache avec la peur et la colère mais sans Michel elles allaient finir par nous trouver. Sans lui, ce que les adultes confinés essayaient de garder péniblement au fond d’eux atteignait cette petite fille. Perdre un doudou c’est déjà un petit drame mais enfermée ça devient une vraie grande tragédie. Et moi, je n’étais qu’un spectateur, séparé d’elles par une barrière invisible.  J’étais dans mon imper, indispensable pour jouer les inspecteurs, derrière mon écran, impuissant. J’enlevais mon déguisement, frustré.

Un éclair d’espoir me transperça. Je venais de sentir à travers le tissu, dans la poche gauche, une boule molle. En glissant la main dans l’imper, il me sembla sentir deux petits bras pelucheux.

NB : Texte proposé pour le concours « Donnez-nous des nouvelles », la contrainte était de commencer par « Il y a quelques jours nos vies ont changé ».