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La voleuse de crépuscule

« Le jour est-il obligé de mourir chaque soir dans les bras gluants de la nuit ? »

Elle s’est fait surprendre. Elle aurait voulu être mieux préparée mais la nuit s’est cachée dans le rayon vert pour engloutir le jour. Elle n’a plus beaucoup de temps. Après ce sera trop tard, la lune sera trop faiblarde pour garder l’illusion du jour.

Elle pense être prête. C’est surement faux mais elle le pense quand même. Fort. A en convaincre ses derniers neurones sceptiques.

C’est son heure.

C’était.

On lui a dérobé.

On lui a volé du temps. Pas des moindres. Des minutes précieuses dans une vie. Cette heure où les rayons font de l’azur une toile. Où les nuages décident selon l’humeur quel courant artistique ils vont suivre. Elle ne supporte plus les envolées de l’horizon qui raconte ses journées à coup de chatoiement. Avant elle aimait rentrer pendant ces instants où le monde joue au funambule sur le terminateur. Où vous êtes seul à savoir précisément où vous êtes, comme un secret gardé par les rues. Surtout quand après une chaude journée d’été un léger vent annonçant l’orage fait danser les feuilles des arbres assoiffés. A cette heure les yeux des voitures sont maintenant des globes immondes qui illuminent les routes d’angoisse. Les passagers sont des ombres qui ne laissent plus que l’imagination décrire l’intérieur des véhicules.

Pendant les quelques secondes où elle les croise, elle se rappelle le flot de violence aléatoire qui peut en sortir et son cœur ne bat plus. On s’habitue vite à sauter quelques battements. Une petite mort tous les dix pas. Ça fait plus mal aux neurones qu’au palpitant finalement. Lui il s’adapte, il bat sur un autre rythme. L’inconscient par contre n’aime pas sentir que le sang coule en saccadé. Il peut faire semblant d’oublier quand tout va bien mais se faufile dans les faiblesses du corps pour crier, hurler ce qui a été fait.  Ce soir, elle seule décidera des battements qui sauteront. Si le crépuscule ne peut plus lui appartenir alors il ne peut rester entre d’autres mains sales et baladeuses.

En avançant vers ses cibles elle se fait l’étrange réflexion qu’elle ne pourra pas rattraper son t-shirt blanc s’il venait à être tacher. La dernière fois le liquide brun s’était mêlé au jean bleu de sa veste. Sans s’en rendre compte elle a enlevé ses lunettes, ce serait dommage qu’elles soient brisées par les coups encore une fois. Elle les remplace par les verres de son masque. Des vitres pourpres et sombres qui remplacent les yeux, un bandeau de cuir noir pour appeler la nuit. C’est son costume. Il y aurait pu y avoir une cape ou des plaques de kevlar mais on l’aurait confondu avec une super héroïne.  Juste un masque pour devenir anonyme. Elle ne veut surtout pas qu’ils la prennent pour autre chose que ce qu’elle est. Quelqu’un. Ses pieds avalent l’asphalte qui semble s’étirer sous ses pas. Elle ne veut pas les perdre de vue. Les platanes découpent sa vue du trottoir d’en face. Ils saccadent l’image comme dans une vieille pellicule.

Elle sent cette étincelle ancestrale courir dans ses muscles, prête à allumer son cerveau reptilien. Son être se rappelle des réflexes vieux comme le monde. Si un mammouth surgissait, là, tout de suite, elle serait prête. Elle a fait oublier à son corps ses habitudes de proies, elle a affamé les neurones qui aurait pu lui crier de courir, de subir. Elle se dit il y a des milliers d’années la bête à craindre n’était surement déjà plus le mammouth. Les deux australopithèques que l’évolution a pris soin d’épargner sont là devant. Deux spécimens qui eux aussi prennent des couchés de soleil qui ne leur appartiennent pas. Eux aussi transforment les femmes en éclipses ambulantes. Ils les changent en un mélange perpétuel de nuit et de jour, l’intérieur dévasté toujours en négatif de l’extérieur. Ce ne sont pas forcément ses Toumaïs, ceux qui lui ont volé Son Crépuscule mais tant pis, peut être même tant mieux.

Sûre d’elle, elle déplie la lance accrochée dans son dos. Elle emboîte les trois parties en carbone.

Clic.

Clic.

Clic.  

Elle a affûté la lame avec précaution. Ça pourrait couper des cheveux en quatre.

 On ne transforme pas les femmes en éclipse.

Point.

Ils n’ont même pas des têtes de criminels récidivistes. Non, c’est du vrai monsieur tout le monde. De ceux que personne n’ose croire coupable mais qui trouvent dans le crépuscule le courage des lâches. Celui du passage à l’acte. Des anonymes qui s’attaquent à des anonymes.  Qui rendent dans le flot du quotidien chaque personne munit d’une verge coupable potentiel.  Peuplant les rues de « peut être », de points d’interrogations malsains. Ils sont jeunes, habillés de tous les jours. Mais ce soir, dans le couchant ils se démarquent. Elle a attendu d’avoir des preuves solides. Elle les a suivis longtemps, leur empruntant même leurs techniques. Aucun doute ne subsiste. Le premier a poursuivi sa proie pendant toute la fin du jour, le deuxième attend patiemment qu’elle passe à son niveau.  Deux mâchoires putrides d’un piège qui ne se refermera pas. Leur victime a les rayons du soleil mourant dans le dos. Sa robe fait danser des ombres immenses devant elle. Ses pas font voler les feuilles mortes, même de loin c’est joli. Son corps ondule doucement au son d’une musique qu’elle seule entend.  

Il ne reste que quelques minutes au jour. La proie va arriver au niveau de celui qui attend. Celui qui suit accélère le pas. C’est l’instant avant. Après ce sera trop tard, ce sera après.

La lame aiguisée de sa lance brille. 

Sa main est sûre.

La colère a fait taire les derniers neurones qui doutaient. Elle est prête.

Elle sort de l’ombre.

Frappe.

Il est trop tard.

Le vide répond à son attaque.

Le rouge constelle déjà d’autres vêtements que les siens.

Des trois belligérants de l’affaire, deux n’ont plus la tête sur les épaules.

Les platanes de l’allée ont comme une jupe rouge.

Et la proie, dodeline, un sabre à la main.

L’arme était surement dans son sac. Peut être sous son manteau. Elle n’avait pas besoin d’aide. Elle n’était pas la proie.

Elles se regardent. La nuit est tombée et le métal de leurs armes s’éteint peu à peu dans l’obscurité. Elle range son sabre, elle a une voie calme, grave et douce :

– J’adore ton masque.

– …

– Tu sais on est plus nombreuse qu’eux.

– …

 – C’est dur d’être beaucoup mais de se sentir aussi seul hein ?

– …

– On est au moins deux, eux ils sont moins deux.

– ….

– On rentre ensemble ?  

« Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l’homme impatient se change en bête fauve. »

C.Baudelaire.

  •  

Dar la luz

J’ai cru qu’on n’allait jamais te revoir.

T’as attendu que je fatigue, que mes yeux se plissent pour pointer le bout de ton rayon.

J’allais pas dormir, juste me reposer deux minutes.

Tu baignes d’un orange pastel deux paires de pieds posées sur des draps blancs.

Vingt orteils dont dix, minuscules et boudinés (j’ai recompté).

Le linge d’hôpital est zébré d’ocre comme un coloriage magique inachevé. Tu réchauffes doucement la guerrière et notre progéniture. Tu as laissé l’amazone poser son armure avant de venir. Sa fille se repose d’être trop née, juste à côté d’elle. Et moi qui pourtant adore les levés de soleil je m’inquiète que ta lumière ne brille trop pour des yeux qui découvrent juste le jour.

Je me sens comme un garde maigrelet pas encore formé pour veiller sur les joyaux de la couronne. Par deux fois tu as dû te montrer, lui proposer une nouvelle journée, avant que ce soit la bonne, qu’elle se décide à sortir. Deux répètes avant le bouquet d’hortensias final. .

Mais sa mère a tenu.

La barre, le vent, la douleur et la fatigue. Elle avait revêtu l’armure, le glaive et le courage des amazones. Puisé des forces dans des sources que seules les femmes connaissent. Son corps s’est transformé en lion sauvage.  Pas un classique, un vénère, au minimum celui de Némée.

Hercule, un peu con, a tué l’animal. Elle, elle l’a dompté. Elle a apprivoisé la douleur jusqu’à en faire une bonne pote.   Elle a fait du fauve sa nouvelle peau pour devenir lionne. Si il avait fallu elle aurait rayé un par un de sa liste les douze travaux pour arriver à donner la vie. Tremper sous la douche de la maternité comme dans les écuries d’Augias. Porteuse d’un ventre rond comme le monde d’Atlas. Ma femme, les femmes, sont des amazones, rien, ni personne ne devrait les obliger à réaliser cette odyssée.

Maintenant entièrement baigné dans la lumière les pieds s’agitent.

Ma fille bouge, tète une tétine invisible et se rendort.

Ma femme jette un œil, voit les miens ouverts et sombre à nouveau.

Pendant la bataille, il n’était pas questions de compter les blessures, les entailles et bleues récoltés. Maintenant le corps réclame un temps mort et un état des lieux. Moi pendant leurs exploits j’ai dépensé notre PEL en café, la machine me connait par mon prénom. J’ai soutenu comme j’ai pu. J’aurais aimé prendre l’option accouchement en relais, une heure chacun avec partage de la douleur. Je me demande si il existe des tutos pour pouvoirs se faire pousser des paires de bras supplémentaires.  Devenir une espèce de dieu indien pour pouvoir les soutenir toutes les deux en même temps et tout le temps.

À contempler leurs bouilles enflammées par le soleil j’ai de l’amour et de la fierté qui débordent par tous les pores de la peau.  Je sue le bonheur. Réchauffe les. Je dormirais plus tard.