Passée une certaine heure le monde disparait.
Soufflé par un gros géant qui ne laisse que deux mètres carré d’univers. C’est beaucoup notre faute mais on ne s’en rend pas vraiment compte. Et puis on laissera le monde se reconstruire dans quelques minutes.
C’est en suivant notre rituel ancestral qui remonte à nous trois, que l’on appelle le Monstre. A chaque étape qui nous rapproche du lit, le géant inspire, engouffre l’air. On est trop occupé à essayer de rentrer sous la couette, que chacun touche les autres et son coussin, pour l’entendre se préparer à éparpiller le monde.
C’est un souffleur patient, il attend qu’enfin plus personne ne bouge et que la première page du livre soit tournée pour résumer le monde à nous trois. Tout ce qui n’est pas lit, pas lui, pas lu, s’envole au loin.
Et sur ce matelas que le géant des contes du soir (ceux du matin et de la sieste n’ont rien à voir) à épargné, il ne reste qu’un lecteur et un public trié sur le volet. Deux pyjamas en forme de personne. Quand ce n’est pas mon tour de lire, j’admire les yeux qui brillent, les bouches qui disent et les gestes exagérés qui étirent les rires.
Quand le géant a soufflé, vous êtes belles comme des histoires du soir.
Celles dont on connait chaque syllabe à l’avance. Vous êtes les lèvres impatientes qui finissent les phrases, le murmure qui appelle les rêves entre les lignes. Vous êtes ce frisson qui se glisse dans le récit. Ces petits fantômes mal fagotés qui vont nous hanter quelques pages mais n’aspirent pas à devenir cauchemar.
Vous êtes le sursaut.
Le rire et le silence.
Quand le loup a perdu. Les chaperons colorés retrouvé leurs maisons et les princesses gagné valeureusement contre le patriarcat.
Vous êtes l’absence d’espace entre nos trente doigts de pieds.
Entremêlés, enlacés, noués.
Que l’on ne veut pas défaire. Que l’on voudrait reliés ,toujours.
Vous êtes la couronne sur la tête des doudous. Quand le lit devient royaume de traversins et les couettes coulent au fond des vallées de draps. Les reliefs de ces rondeurs pourraient être parcourus par de chou chimères.
C’est la carte de nos rêves.
Montagnes de coussins.
Fosses de câlins.
Vous êtes belles comme l’attente terrible de voir son ton de lecteur toucher en plein cœur. Vous êtes dans le sursaut sournois de la sorcière qui débarque. Dans le rire rond du prout du personnage. Dans l’appréhension de donner une histoire qui peuple son imaginaire pour lier nos songes. Pour que les mêmes marmottes tapent à nos portes dans des cabanes abandonnées. Que les mêmes poissons égoïstes partagent leurs écailles.
Vous êtes l’arc-en-ciel.
Le feu de bois et les maison qui s’envolent.
Vous êtes belles comme la découverte. La couette remontée jusqu’au menton quand le risque est pris de plonger dans l’inconnu. Où les pages sont nouvelles, parfois traitres, pour nous trois. Vous êtes le plaisir parfait de parfaire sa bibliothèque d’une référence. La plaie de faire perdurer sur les cabinets un navet plein de pages.
Vous êtes belles comme des histoires du soir.
Quelques albums plus loin le géant se retire. Le monde n’est pas entièrement revenue. Et on te laisse dans ce lit qu’on a bordé de mots. On referme la porte (un peu, pas trop, en laissant la lumière allumée mais pas trop) en espérant doucement que ces récits te feront croire fort que tu peux être l’héroïne de chacun d’entre eux.
