Prologue

Les héroïnes n’ont jamais leurs règles.

Les héros ne sont jamais des éjaculateurs précoces.

Personne ne prend de pause pipi pendant qu’ils sauvent le monde.

Il fallait bien se rendre à l’évidence je ne faisais pas parti de cette engeance épique là. Pendant que le sol s’effondrait sous mes pieds je sentais une chiasse carabinée poindre le bout de son pet.  Même si depuis quelques temps on s’évertuait à me prêter des capacités quasi héroïques mes besoins physiologiques me rappelaient ma condition de simple mortelle. Perchée en haut d’une tour en ruine, je ne pensais qu’à une cuvette de toilette salvatrice.    

« Allez les copains je veux bien sauver la ville mais accordez moi cinq minutes. » 

Les murs de la tour où j’étais perchée commençaient à se fissurer.

« Concentre-toi ma veille»

 Je devais rapidement descendre de là avant que mon envie ne disparaisse avec moi.  J’étais monté un quart d’heure plus tôt pour échapper à ceux que je pistais. J’avais voulu monter pour observer leurs déplacements et les surprendre. En montant trop vite sur la construction  j’avais fait tomber des morceaux de la pierre blanche devenue friable. Le bruit des éboulis heurtant le parvis avait du s’entendre dans toute la ville. Je pensais assez rapidement m’inscrire au championnat du monde de l’attaque surprise. Les trois Diamantaires m’avaient bien sur entendu et avaient entrepris de frapper les fondations. Plutôt que de risquer de s’exposer en montant ils attendaient tranquillement que je tombe ensevelies par les pierres. Une relative intelligence que je ne leurs connaissais pas. Leurs forces décuplées par les drogues auraient vite raison de la tour gothique. L’ensemble de l’édifice tremblait à chaque coup d’épée. Je me retrouvais coincé quinze mètres au -dessus du sol dans une troué percée par quelques obus des anciennes guerres. J’avais bien essayé de leur faire tomber un ou deux blocs sur la tête, sans succès. Ces choses ne connaissaient pas la douleur.

Il fallait descendre, utiliser la danse mais j’avais peur, j’avais chaud.  

Je sentais la sueur coulée le long de mon dos et sous mon armure de kevlar. Les façades des bâtiments, éclaboussées par la lumière du soir, se prenaient pour des miroirs d’ambre polie. Je descendais le foulard qui cachait mon visage et respirais un grand coup.

« Descends de cette tour, sors ton épée et bats-toi. Rappelle-toi, que tu es la seule qui puisse le faire. »  J’avais beau me raisonner, mes mains posées sur la pierre blanche tremblaient.

J’allais devoir danser. J’allais détester et aimer ça. J’allais me transformer en paradoxe meurtrier sur patte, moitié rongée par la culpabilité moitié grignotée par le plaisir et l’ivresse de la danse. 

Ma main s’était instinctivement posée sur la garde de mon épée.

Le crissement du cuir de la garde contre mes gants.

La fine lame sortant lentement du fourreau.

L’odeur de la graisse d’affutage s’échappant du fourreau.

Le léger bourdonnement de mon implant qui s’allume.

D’une main j’attrapais le rebord et débutais  ma descente. Je devrais commencer à mi-parcours. La musique diffusée directement dans mon cerveau par mon implant lancerait la danse, imprégnerait mon corps, guiderait la lame. Le processus prenait du temps et ne devait pas être interrompu. 

Une fois le pied sur le parvis, l’introduction serait terminée, ma concentration au maximum. Je ne devais surtout pas m’arrêter de danser avant de les avoir tué tous les trois.

Descendre en ne pensant qu’à danser. « Ne pense pas à autre chose, écoute, danse et laisse l’escalade à ton inconscient ».  

Mon implant lança la musique. Mon inconscient avait choisi « What is it » de Mark Knoffler. Rythmé, légèrement mélancolique.  Mon corps, mon cerveau, mes tripes répondirent.

Les hormones présentes dans mes veines s’activaient grâce à la danse. Ne répondant qu’à la musique de mon implant, elles décuplaient mes réflexes, mes sens, et dirigeaient ma lame. 

Le monde trembla.

La base de la structure s’était effondrée.

La tour Peyberland  se déguisa en tour de Pise en fin de vie.

Le plan vertical où s’accrochait ma main se changeait en plan horizontal. L’introduction à la guitare sèche, en roulement, guida mes sens. Avec la danse je pouvais bien courir sur une tour en train de s’effondrer.  Deux mètres avant le sol la tour était assez inclinée pour que  je puisse me redresser. Je commençais  à courir en direction du sol.  Un des trois Diamantaire m’attendait épée levée, prête à fendre mes os. Les deux autres était hors de ma vue, surement positionnés sur les côtés pour éviter d’être écrasé.

La guitare électrique démarra.  

Plutôt que de sauter derrière mon adversaire, je me baissais et glissais entre ses jambes. Je voyais et sentais où frapper, où enfoncer ma lame. Le corps saturait du riff de guitare, je voyais clairement les deux points faibles de l’armure juste en dessous des chevilles. Leurs armures étaient indestructibles, je devais viser les infimes interstices entre les plaques.   Ma lame s’enfonça dans une des failles juste assez grande pour laisser passer la lame. En me relevant je laissais glisser la lame le long de la deuxième faille.  Le Diamantaire tomba, un genou à terre. Les deux autres étaient arrivés à un mètre de moi, les deux lames en arrière prêtes à me couper en deux. S’ils me touchaient, même une fois, j’étais morte.  Je pris appuie sur la cheville blessée du premier, enfonçais ma lame dans le point faible de la deuxième cheville et sautait. La tour acheva sa chute et les épées fendirent l’air en percutant le Diamantaire à terre.   

L’air devint poussière, le parvis mosaïque.

Mark Knoffler voyageait sur sa guitare.   

J’atterris dans le dos du Diamantaire de droite, visais le point situé entre son oreille et ses yeux. La lame s’enfonça,  le sang de son œil crevé recouvrit la vitre de son casque.  La créature hurla. Leurs cris me terrifiaient toujours, semblables à l’agonie d’un orchestre de violons qu’on torture. Je me baissais, son arme passa au-dessus de ma tête. Je plantais la dague dans l’interstice sous le plexus solaire et l’enfoncée d’un coup de talon.

Le Diamantaire s’effondra.

La musique changea d’intensité. Le chant pris le pas sur la guitare.

Plus qu’un.

 Le soleil couchant apposait ses rayons sur la poussière en suspension. Je voyais les yeux de mon adversaire à travers la visière de son casque.  Les drogues avaient scindés ses pupilles et ses iris en deux. Quatre fragments rouges et noirs me fixaient. Ils devaient être rapide, peut être plus que moi.  

Il fit tournoyer son épée à deux mains démesurée autour de lui.  Je connaissais ce mouvement, rien de nouveau pour moi. Il allait accélérer et utiliser son élan pour faire pivoter son corps avec sa lame. Une fois lancé il serait dur de l’arrêter. Je devais viser ses mains, faire tomber son arme et porter le coup fatal.

Un nouveau riff de guitare dans mes oreilles.

« Maintenant ». Je me lançais vers mon adversaire. Au moment où je lançais ma lame vers ses mains  son arme frappa le sol.  Les vibrations se propagèrent jusque dans mes bottes. Des éclats de pierre frappèrent mon armure. Je sentis une douleur vive sous mon œil. Le Diamantaire ramassa l’épée de l’un de mes deux ennemies à terre.  Il s’avança vers moi, faisant vrombir dans l’air soixante kilos de métal dans chaque main. 

« Merde ça c’est nouveau ». La musique dans mon crane n’allait pas tarder à se terminer. Je n’aurais pas le temps de relancer la danse sur un nouveau morceau.

Le Diamantaire était sur moi. J’évitais les lames comme je pouvais. Le dernier solo de guitare du morceau approchait, il fallait que je trouve une solution. Les  deux épées passaient trop près de moi, frappaient le sol. De la poussière et des éclats de pierres volaient autour de nous. La musique avait presque disparu.  La guitare et le violon s’étiraient, s’échauffaient dans mes oreilles, prêts à repartir. Il va trop vite, je n’arriverais jamais à le toucher. « Ils faut qu’il lâche ses putains d’épées ».

Le retour de la batterie sonna le début de l’épitaphe du morceau.

Mon cerveau se déconnecta. La danse prit le relais.

Chaque battement de baguette sur la peau de la caisse clair fit briller les points faibles de mon adversaire.  Chaque note de guitare guida mon arme jusqu’à un point précis de l’armure du Diamantaire. Mon pieds bougeaient en suivant le violon en fond, mes mains suivaient les doigts de Mark Knoffler. Une des épées percuta le sol.

Je continuais à frapper.

La deuxième tomba.   

Encore.

Ma lame s’enfonça jusqu’à la garde sur les dernières notes de batterie. Une aiguille dans la colonne vertébrale du monstre.

Il s’effondra.

Le silence se fit.

Je n’entendais plus que ma respiration rapide.

Un sourire s’étirait sur mes lèvres, des larmes et du sang coulaient sur mes joues. 

J’avais eu peur. Mais ce moment, où la danse prenait les commandes, dirigeait mes muscles, qu’est ce que j’aimais ça. Mon implant supprima automatiquement «  What it is » de sa mémoire. Quand on tue sur un morceau, on ne l’écoute plus. Mark Knoffler sacrifié pour sauver mes fesses. Je n’entendrais plus jamais ces notes là. Dans mes oreilles,  connotée au sang et à la peur, cette musique ne marchera plus pour la danse. Mes mains tremblaient.

Je vomis mon stress et ma peur sur le parvis.  En me relevant je murmurais mon mini-slogan post-bagarre :

« Tu es née de chair,

Tu ne retourneras pas poussière ».

Je rengainais mon épée et jetais un dernier regard sur la tour effondrée et rentrais à la maison.

[Faire caca].

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